Vers un rapprochement des Low-Tech et des organisations manufacturières traditionnelles
Jean-Baptiste Le Floch  1  , Magali Bosch-Mauchand  1  , Matthieu Bricogne  1  
1 : Roberval
Université de Technologie de Compiègne

Mots-clés : Low-Tech, Sciences de la Conception, Systèmes de Gestion de la Production, Gestion de la connaissance

1 Introduction

Nous introduisons ici nos futurs travaux de thèse de doctorat. Ces travaux se situent à l'intersection des Sciences de la Conception et des Systèmes de Gestion de la Production (SC&SGP) et de la démarche « Low-Tech ». Cette dernière a des ambitions de forte soutenabilité sociotechnique et environnementale. Comme les SC&SGP, la démarche Low-Tech a directement pour objet la conception et la production de biens et services. Nous présentons d'abord la démarche Low-Tech, puis nous identifions ses proximités avec les SC&SGP, ainsi que leurs limites respectives. Enfin, nous détaillons la structure de nos futurs travaux, qui se penchent sur les potentiels apports mutuels entre démarche Low-Tech et SC&SGP, notamment sur la question de la gestion de la connaissance.

2 La Low-Tech2.1 Présentation générale

Le terme de « Low-Tech » a été introduit en France vers la fin des années 2000, puis popularisé en 2013-2014 par des fondateurs du Low-Tech Lab et Philippe Bihouix [1]. Ce terme est souvent accompagné d'un trio de valeurs, comme par exemple « Utile, Accessible, Durable » pour le Low-Tech Lab. Le terme de « démarche Low-Tech » est utilisé lorsque ces valeurs sont respectées lors du développement d'un bien ou d'un service. Cette démarche amène à se requestionner sur le rôle de la technique, ainsi que sur les besoins eux-mêmes [2], [3]. Elle adopte ainsi une posture dite techno-critique, ou encore de techno-discernement [3].

2.2 Secteurs d'application et caractérisation de la Low-Tech

Les pratiques de la Low-Tech ont été documentées pour de nombreux domaines par [3], avec « l'agriculture », « l'alimentation », « l'eau », « l'énergie », « le numérique », « les objets du quotidien », « les outils et matériaux », « l'hygiène et la santé », « l'habitat », « les déchets » et « la mobilité ». Plusieurs travaux ont proposé une caractérisation de la démarche Low-Tech [3], [4], [5]. Nous les résumons - à ce stade de nos travaux - ainsi : un faible impact environnemental, une faible consommation de ressources, un contentement aux besoins essentiels, l'encapacitation d'un public le plus large possible, une approche systémique et une maîtrise locale de la chaîne de la valeur.

2.3 Les formes de pratiques Low-Tech

Dans le cadre d'une démarche Low-Tech, l'utilisateur a généralement une place centrale lors des phases d'expression des besoins ou de fabrication [3], [4], [5]. Les utilisateurs ont également des attentes en termes d'accès à la connaissance et d'appropriation du produit [4], [6]. Des arbitrages particuliers sont donc faits lors de la conception [4], [6].

2.4 Les limites actuelles de la démarche Low-Tech d'un point de vue SC&SGP

Les méthodes de conception et de gestion de la production mobilisées dans une démarche Low-Tech sont aujourd'hui peu formalisées. Ces méthodes pourraient également varier suivant les communautés de pratiques, compte tenu de l'importance accordée à l'appropriation locale. De plus, les produits Low-Tech rencontrent aujourd'hui des freins connus et documentés dans les SC&SGP [6]. Ces problèmes sont relatifs à l'accès et au partage de la connaissance, à la performance des systèmes conçus ou à la sécurité.

Les enjeux de gestion de la connaissance sont d'autant plus marqués par un contexte de collaboration entre des structures décentralisées, autour de produits avec une propriété intellectuelle ouverte. De plus, des usagers non experts ont tendance à être impliqués lors des différentes phases du cycle de vie. Ainsi de nouvelles problématiques relatives au Product Lifecycle Management (PLM) ou à la Supply Chain Management (SCM) pourraient apparaître.

3 Au croisement de la Low-Tech et des SC&SGP

3.1 Proximités entre les SC&SGP et la Low-Tech

Les SC&SGP incluent de très nombreux concepts et techniques (C&T) [7] pour répondre aux problématiques posées lors de la conception ou la production d'un produit, et sont généralement appliquées dans un contexte industriel. Certaines approches ont une proximité marquée avec la Low-Tech, telles que l'Open Source Hardware [8], la Common-Based Peer Production [2], [9], la gandhian innovation ou Jugaad [3], l'économie circulaire [10] et le Design for Sustainability [11], [12]. Enfin d'autres approches des SC&SGP nous semblent agnostiques au niveau stratégique et donc potentiellement mobilisables au niveau opérationnel dans une démarche Low-Tech : l'Ingénierie Système, l'Agilité, les Design for X, le Product Lifecycle Management, la conception modulaire.

3.2 Les limites des SC&SGP du point de vue de la Low-Tech

Malgré le potentiel de ces C&T, la littérature propose peu d'études de cas d'une démarche Low-Tech menée dans un contexte manufacturier traditionnel. La seule étude à notre connaissance dans un tel environnement est celle de l'ADEME [13]. Un bilan positif est tiré sur les plans économique et fonctionnel. De plus, bien que la plupart des C&T nous semblent agnostiques vis-à-vis d'une démarche de techno-discernement, cet aspect est tout de même absent des éléments rencontrés. Ce couplage pourrait donner lieu à des pratiques et des arbitrages originaux.

4 Structure des travaux

Nos futurs travaux de thèse de doctorat posent la double hypothèse que la démarche Low-Tech peut s'enrichir de C&T issus des SC&SGP dans une logique de « passage à l'échelle », mais également que les organisations manufacturières traditionnelles peuvent analyser et critiquer leurs pratiques via une démarche de techno-discernement issue de la démarche Low-Tech. Pour ce faire, nous élaborons une Matrice d'eXigences Low-Tech (MXLT) qui a pour objectif l'évaluation, sur la base de critères représentatifs des valeurs portées par la démarche LT, de C&T issus des SC&SGP, tels que l'ingénierie système ou l'écoconception. Des travaux menés dans une philosophie de spécification de la Low-Tech relativement similaire sont déjà en cours et menés par A. Gaultier et W. Bernaud [14].

A titre d'illustration, notre évaluation avec la MXLT peut être restituée sous la forme du Tableau 1. Ce tableau met en évidence l'apport potentiel de l'écoconception dans une démarche Low-Tech. En colonne se trouvent les critères Low-Tech, que nous basons sur une synthèse de la caractérisation de [3] [4] [5]. En ligne se trouvent les C&T analysés, ainsi que leur éclatement en sous-foncionnalité. Ici, les éléments éclatés sont le critère « Approche systémique » et le C&T « Ecoconception ». Les éclatements et les résultats présentés ci-dessous ne sont présentés qu'à titre d'illustration. En effet leur construction, qui se doit d'être basée sur la littérature scientifique, est actuellement au cœur de nos travaux.



Tableau 1 : Illustration de l'analyse de l'écoconception avec la MXLT

 Le Tableau 1 permet ici de mettre en avant l'apport potentiel de l'écoconception à une démarche Low-Tech, notamment de par son principal outil d'évaluation environnemental qu'est l'ACV. Le Tableau 1 illustre en effet que, lors d'une ACV, les pratiques de modélisation des cycles de vie centraux et satellites (flux indirects, effets non linéaire, comparaison de scénarios) contribuent à des critères Low-Tech. Ces critères sont ici l'anticipation d'effets rebonds, l'identification des acteurs impliqués et impactés par le cycle de vie d'un produit, ou encore la prévision de désajustements sociotechniques (qu'ils soient visés ou non).

Le Tableau 1 permet également d'illustrer une potentielle limite de l'écoconception vis-à-vis de la démarche Low-Tech, qui est la recherche de solution de design cherchant uniquement à améliorer le rapport entre le service rendu et les impacts environnementaux. Ce seul objectif ne permet pas de juger de la pertinence de telles solutions vis-à-vis des critères Low-Tech. En effet cela ne garantit pas que la solution écoconçue soit maîtrisable localement, ni qu'elle répond à des besoins essentiels.

De plus, les critères doivent également être spécifiés afin d'affiner l'analyse des C&T et d'en révéler les potentiels et limites. Certains critères peuvent être déclinés en fonction de différents scénarios de cycle de vie des produits (PMEs mécaniciennes qui collabore autour d'un même produit, production accompagnée, production domestique, conception collaborative mondialement ouverte).

L'aspect gestion de la connaissance sera abordé de deux façons complémentaires. Tout d'abord nous identifierons les données techniques mobilisées et produites lors d'une démarche Low-Tech, ainsi que les enjeux de gestion de connaissance spécifiques aux différents scénarios précédents. En parallèle les outils et approche de gestion de la connaissance traditionnels seront analysés avec la MXLT.

A l'issue des évaluations des C&T, gestion de la connaissance comprise, dans une approche similaire à [7], un set de C&T compatibles avec la Low-Tech sera proposé. Une attention particulière sera portée à la construction de la MXLT, issue de potentielles itérations au fil des C&T évalués. Les aspects relatifs aux sciences humaines et sociales devront également être inclus dans la MXLT. De plus, le large corpus des SC&SGP est un challenge supplémentaire. Afin d'aborder ces différents aspects, une première version de la MXLT basée sur la littérature caractérisant la Low-Tech a été proposée.

5 Bibliographie

[1] A. Béranger, « Médiatisation du phénomène low-tech », présenté à Doctorales de la Société Française des Sciences de l'Information & de la Communication (SFSIC 2020), juin 2022. Consulté le: 14 novembre 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://shs.hal.science/halshs-04008124

[2] Q. Mateus et G. Roussilhe, Perspectives Low-Tech - Comment vivre, faire et s'organiser autrement ? Editions Divergences, 2023.

[3] ADEME, « DÉMARCHES « LOW-TECH » », 2022. [En ligne]. Disponible sur: https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/5421-demarches-low-tech.html

[4] A. Martin, A. Gaultier, et C. Colin, « Cartographie du concept low-tech: guider la conception vers des techniques soutenables », 2022, [En ligne]. Disponible sur: https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03598525

[5] A. Tanguy, L. Carrière, et V. Laforest, « Low-tech approaches for sustainability: key principles from the literature and practice », Sustain. Sci. Pract. Policy, vol. 19, no 1, p. 2170143, déc. 2023, doi: 10.1080/15487733.2023.2170143.

[6] C. Colin et A. Martin, « The user experience of low-techs: from user problems to design principles », J. User Exp., vol. 18, no 2, p. 68, févr. 2023.

[7] J. Guérineau, M. Bricogne, L. Rivest, et A. Durupt, « Organizing the fragmented landscape of multidisciplinary product development: a mapping of approaches, processes, methods and tools from the scientific literature », Res. Eng. Des., vol. 33, no 3, p. 307‑349, juill. 2022, doi: 10.1007/s00163-022-00389-w.

[8] J. Bonvoisin, R. Mies, et J.-F. Boujut, « Seven observations and research questions about Open Design and Open Source Hardware », Des. Sci., vol. 7, p. e22, janv. 2021, doi: 10.1017/dsj.2021.14.

[9] V. Kostakis, K. Latoufis, M. Liarokapis, et M. Bauwens, « The convergence of digital commons with local manufacturing from a degrowth perspective: Two illustrative cases », J. Clean. Prod., vol. 197, p. 1684‑1693, oct. 2018, doi: 10.1016/j.jclepro.2016.09.077.

[10] L. Panza, A. Faveto, G. Bruno, et F. Lombardi, « Open product development to support circular economy through a material lifecycle management framework », Int. J. Prod. Lifecycle Manag., vol. 14, no 2/3, p. 255, 2022, doi: 10.1504/IJPLM.2022.125826.

[11] F. Ceschin et İ. Gaziulusoy, Design for Sustainability: A Multi-level Framework from Products to Socio-technical Systems, 1re éd. London: Routledge, 2019. doi: 10.4324/9780429456510.

[12] C. S. Rocha, P. Antunes, et P. Partidário, « Design for sustainability models: A multiperspective review », J. Clean. Prod., vol. 234, p. 1428‑1445, oct. 2019, doi: 10.1016/j.jclepro.2019.06.108.

[13] ADEME, « Etude sur l'opportunité du déploiement d'un écosystème industriel low-tech en PACA », 2023. [En ligne]. Disponible sur: https://librairie.ademe.fr/dechets-economie-circulaire/6482-etude-sur-l-opportunite-du-deploiement-d-un-ecosysteme-industriel-low-tech-en-provence-alpes-cote-d-azur.html

[14] Définir la low-tech, entre politique et ingénierie - Alexandre Gaultier & William Bernaud - par APALA, (23 juin 2023). Consulté le: 11 avril 2024. [En ligne Vidéo]. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=hWeyNjrV_SY



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